Analyse du sol à faire soi même
Un kit d'analyse du sol à bas coût et fiable à destination des jardiniers.
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Sommaire
Introduction
De nombreux jardins partagés fleurissent en ville.
Les jardiniers, régulièrement installés sur des terrains en friche ou à l'abandon, sont régulièrement confrontés à la question de la pollution du sol du terrain sur lequel ils s'installent, terrain dont ils ne connaissent souvent pas l'historique. Problème : les analyse de sol effectuées dans les laboratoires professionnels coûtent plusieurs centaines d'euros.
Pourrions-nous nous appuyer sur les fablabs et leur équipement pour permettre aux jardiniers et agriculteurs (péri-)urbains de faire leurs propres analyse de sol ?
L'objectif de cette page est d'investiguer sur les protocoles d'analyse de sol, de les démocratiser, et d'évaluer la faisabilité d'un kit d'analyse de sol à bas coût et fiable à destination des jardiniers urbains.
Cette exploration fait partie du programme de recherche-action "Agriculture urbaine & Fablab". Cet article en trace rapidement les grands enjeux.
Cadre
L'analyse de sol consiste en deux grands types de méthodes :
- L'analyse de la qualité agronomique du sol, déterminée entre autres par son pH, sa granulométrie, sa teneur en matière organique, ainsi qu'en azote, en phosphore et en potassium.
- L'analyse des polluants potentiellement présents dans le sol, et susceptible d'affecter la santé humaine lors de la consommation des produits.
Nous allons aborder le second axe en priorité, notre enjeu à ce stade étant moins l'optimisation de la production que s'assurer que la production alimentaire urbaine soit comestible sans impact négatif démesuré sur la santé.
Recherche documentaire
Comme tout projet, commençons par une nécessaire phase de recherche documentaire, ayant pour objectifs :
- d'aborder les éléments scientifiques et techniques nécessaires à la compréhension des enjeux de la pollution des sols et de son impact sur notre alimentation.
- de faire un état des lieux des développements dans la détection de la pollution du sol et des stratégies de remédiation existantes, notamment à l'usage de non-spécialistes, aux capacités d'investissement modestes, mais disposant de l'équipement d'un fablab et du savoir-faire de sa communauté.
Principaux polluants
Dans le sol
La page Wikipédia dédiée à la pollution des sols fournit une liste assez exhaustive des polluants que l'on peut trouver dans les sols :
- Métaux lourds (à comparer au fond géochimique naturel)
- Hydrocarbures
- Hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP)
- Composés organiques volatils (COV)
- Huiles minérales
- Goudrons
- Hydrocarbures halogénés volatils
- Organochlorés
- Polychlorobiphényle (PCB)
- Polychloroterphényles (PCT)
- Dioxines
- Furanes
- Phénols
- Chlorophénols
- Cyanures
- Pesticides
- Phtalates
- Esters phtalliques
- Subtances chimiques à usage militaire
- Explosifs
- Munitions non explosées
- Eutrophisants (nitrates, phosphates)
- Acides, bases
- Radionucléides
Cette liste est issue d'un riche et volumineux guide méthodologique édité par le Bureau de Recherche Géologique et Minière (BRGM), indiquant comment agir face aux sols pollués.
Ces polluants se classent en deux grandes familles :
- Les polluants métalliques, incluant principalement les métaux lourds.
- Les polluants organiques, incluant la grande majorité des autres, du goudron aux huiles minérales en passant par les dioxines, les phtalates ou encore les COV et les HAP.
Biodisponbilité
La biodisponibilité des polluants se définit comme leur capacité à être captée dans le sol par les êtres vivants, notamment les plantes. Cette biodisponibilité varie largement selon un certain nombre de paramètres dont :
- le pH du sol,
- son hydromorphie (le comportement de l'eau dans celui-ci),
- la température,
- la quantité de matière organique,
- l'interaction entre les polluants,
- la (micro)faune du sol
Cette complexité de l'interaction sol-polluants et son effet sur la biodisponibilité de ceux-ci, et donc la proportion que l'on va en retrouver dans les plantes que nous consommons, complique fortement la tâche d'analyse.
Effet cocktail
Le caractère nocif d'un polluant n'est pas une constante. Les polluants combinés entre eux ou à d'autres substances bénignes peuvent être plus ou moins nocifs que chacune des substances prises séparemment. C'est ce qu'on appelle l'effet cocktail.
Ceci complique d'autant plus l'analyse qu'une substance abondante et parfaitement bénigne peut potentiellement aggraver franchement l'effet d'un polluant. Que doit-on alors détecter ? Simplement le polluant, ou aussi toute substance susceptible d'en empirer les effets ? Pour faciliter le tout, le niveau de connaissance sur les effets cocktails est encore très faible...
Dans les aliments
Face à ces très nombreuses sources de pollution, à la complexité de leurs interactions mutuelles et avec d'autres facteurs, et donc au très grand nombre de méthodes d'analyses permettant de les évaluer et au difficile choix à faire, nous allons tenter de prioriser ces sources selon :
- leur occurrence dans notre contexte d'étude - milieu urbain susceptible d'être cultivé ;
- le risque qu'elles représentent par rapport à la santé humaine dans ce contexte.
Nous allons donc pour cela nous plonger dans quelques études analysant les polluants présents dans notre alimentation.
Polluants dans les aliments - Etude de l'ANSES
Une vaste étude de l'ANSES, commentée dans un article de Consoglobe, aborde la question des polluants dans les aliments.
20'000 produits ont été analysés, issus de 1'500 points de vente, et 445 substances ont été identifiées. Parmi celles-ci :
- 307 substances ne dépassent pas leur Valeur Toxique de Référence (VRT).
- 54 substances sont présentes à des niveaux supérieurs à la VRT.
- L'ANSES n'a pas pu se prononcer sur la teneur des 72 substances restantes.
Parmi les substances présentes à des niveaux inquiétants, on rencontre :
- L'acrylamide, qui a l’air lié à la friture (présent dans les frites, chips, biscuits, pommes de terre sautées)
- L'aluminum, lorsque les emballages en aluminium sont par des aliments acides (tomate, citron, rhubarbe, etc)
- L'arsenic, présent dans les poissons, crustacés, mollusques, le lait, l'eau
- Le cadmium, accumulé par céréales, tubercules, champignons, et les algues. Le risque est a priori réduit en agriculture biologique.
- Le diméthoate, pesticide présent dans les endives et les cerises
- Les dioxines, qui n’ont pas l’air présentes dans les légumes
- L'hexachlorobenzène (HCB), un fongicide présent dans les semences de blé.
- Le mercure, apparemment non présent dans les légumes
- Les mycotoxines, présentes dans les céréales, le pâtes, le chocolat, le pain, et les produits de panification sèche
- Les nitrates et les nitrites, utilisés comme antioxydants de charcuterie, et présents dans l'eau
- Des pesticides
- Le PCB, pas trop présent dans les légumes
- Les sulfites présents dans les boissons alcoolisées
- Le plomb apparemment peu présent dans les légumes (sauf si ils ont poussé dans les milieux acides, d'après l'étude de Greenloop)
L'article commentant l'étude ne précise pas si ces polluants proviennent du sol ou non.
Métaux lourds du jardin - Etude de TU Berlin
Nous avons donc poursuivi avec une autre étude, produite par une équipe urkaino-allemande, adressant la question de l'impact de la pollution atmosphérique sur la production des jardins berlinois.
Cette étude, recensée dans plusieurs articles (Notre planète, Consommer durable, Consoglobe, Tout Vert), montre notamment que :
- Les tomates cultivées en ville proche des voies de circulation contenaient 11 fois plus de cadmium et 5 fois plus de nickel que celles trouvées au supermarché.
- Les blettes cultivées en ville proche des voies de circulation contenaient 7 fois plus de zinc que celles trouvées au supermarché.
Toutefois, grosse faille méthodologique : les chercheurs n'ont pas analysé les polluants du sol.
- Difficile donc de savoir si la source de la pollution est l'atmosphère ou le sol
- Difficile également de savoir quels mécanismes mènent à une telle accumulation de métaux lourds dans les légumes : certains légumes seraient-ils plus sensibles que d'autres ?
Cette étude berlinoise ne trace par ailleurs que les métaux lourds, et pas les autres polluants.
Où est vraiment le problème ? - Etude de Greenloop
Une troisième étude, menée à Bruxelles par Gauthier Chapelle, du bureau d'études Greenloop, fait un peu le tri dans les différentes études menées en milieu urbain.
Cette étude mentionne notamment une règle établissant que :
- les légumes-fruits et les fruits sont les moins susceptibles d'accumuler les métaux lourds, notamment les tomates, aubergines, poivrons, gombos (graines), courges, maïs, concombres, melons, pois, haricots écossés, bulbes d’oignons, et fruitiers (pommiers & poiriers).
- les légumes-racines les accumulent un peu plus, notamment les carottes, betteraves, pommes de terre, et navets.
- les légumes-feuille, comme la laitue, les épinards, blettes, choux, brocolis, choux-fleurs, haricots verts, petits pois non écossés, et plantes aromatiques les accumulent nettement plus.
Cette règle est toutefois contredite par certaines analyses de l'étude berlinoise, qui prennent le contrepied de ces observations, montrant que certains légumes-fruits accumulent plus que les légumes-racines ou légumes-feuilles.
D'ailleurs, les bruxellois se refusent eux-même d'ériger cette règle en principe, évoquant le fait que de nombreux autres facteurs entrent en ligne de compte : pH du sol, type de plante, type de pollution, etc...
L'étude bruxelloise établit également une hiérarchie dans les métaux lourds les plus "à risque" en agriculture urbaine, listant en particulier :
- le plomb, très fréquent, mais peu assimilable, sauf si le sol est acide ;
- le cadmium, moins fréquent, mais très toxique et très facilement assimilable pour les plantes.
Nous les retiendrons donc comme les principaux métaux à surveiller avec notre kit.
Doses à ne pas dépasser
Autant l'étude berlinoise que les annexes de l'étude de Greenloop contiennent des éléments quantitatifs sur les doses tolérables (selon les normes, selon l'OMS) de certains polluants dans les sols et dans les aliments.
Méthodes d'analyses
Le high-tech exhaustif de haut vol du BRGM (& collègues)
Dans le même guide du BRGM cité ci-dessus sont listées et détaillées de très nombreuses méthodes d'analyses permettant d'identifier et de quantifier les polluants du sol. La plupart de ces méthodes font appel à des compétences et des équipements inadaptés à notre contexte. Ce document reste toutefois une excellente référence, et un bon point de départ pour "low-techiser" certaines de ces méthodologies.
Nous avons également identifié deux autres documents du même type pouvant servir de base de départ :
- Un document abordant les techniques d'échantillonnage en vue de l'évaluation de la pollution
- Une grille de lecture permettant, par questions, de mener à bien un protocole cohérent d'échantillonnage et d'analyse d'un sol.
Métaux lourds - Incursion en spectrométrie
Dans notre effort de concentration sur certains des polluants les plus problématiques, nous avons suivi les pas des chercheurs berlinois.
Inspirés par la section "Matériel et méthodes" de leur article, détaillant leur protocole de quantification des métaux lourds par spectrométrie d'absorption atomique, nous avons investigué sur les possibilités d'un spectromètre à portée de fablab.
Nous avons assez rapidement trouvé deux modèles inspirants à faire nous-même :
- Ceux de PublicLab, ayant déjà été utilisés pour faire [des mesures quantitatives de concentration en Nickel https://publiclab.org/notes/straylight/05-13-2013/using-the-spectroscope-for-analysis-of-concentration-beer-s-law], pour analyser la qualité de l'eau à partir de la présence de chlorophylle-a, et même la qualité (agronomique) du sol (nitrate/phosphore/potassium). Des instruction de fabrication sont disponibles, pour un coût matériel de 10-35 € selon les sources. Un logiciel d'analyse des spectres, SpectralWorkBench est également disponible en ligne.
- Celui d'Hackteria, inspiré par le NanoDrop, un modèle omniprésent en laboratoire de biologie pour quantifier ADN et protéines.
Après analyse plus approfondie, notamment sur la sensibilité de telles machines, il semblerait que cette simple petite machine à faire-soi même ne soit pas suffisante. Ce cours et cette page parlent tous deux d'un atomiseur, une machine à haute température nettement plus complexe permettant de préparer les échantillons pour les rendre lisible par le spectromètre.
A première vue, cela semble un peu compliqué pour un fablab, mais je n'attends que d'être démenti par les maîtres-bricoleurs ayant fait leurs armes sur - par exemple - Sentier Battu :)
Par ailleurs, nous sommes tombés sur Oligoscan, un spectromètre portatif clamant pouvoir mesurer la quantité de métaux lourds présents dans le corps.
La page wiki où cet objet est recensé semble très sceptique, il faut donc analyser plus en profondeur l'appareil et son fonctionnement pour comprendre si il y a quelque chose d'intéressant à explorer ou non.
Métaux lourds - Voltamétrie
Une autre machine complexe qui semble pouvoir quantifier les métaux lourds dans un échantillon est [ http://www.mesureo.com/pages/Analyseur_Metaux_Lourds.html cet analyseur].
Peut-être que le principe physique sur lequel elle s'appuie, à savoir la voltamétrie, serait une piste à explorer pour imaginer une machine plus simple (qui détecte au lieu de quantifier p. ex.) ?
Métaux lourds - Indicateurs colorés
Il semblerait également possible de quantifier (précisément ?) les métaux lourds avec des indicateurs colorés (donc par titrage, je présume ?).
Ce kit - un peu cher - est un bon point de départ. A creuser.
Métaux lourds - Bioindicateurs
Il existe deux grandes familles de bioindicateurs :
- les plantes, dont certaines poussent particulièrement bien dans les sites polluants, et démontrent souvent des capacités d'accumulation desdits métaux intéressantes ;
- les animaux, comme les escargots, les vers ou les grenouilles dont les anomalies de développement, entre autres, servent à indiquer la présence de polluants influant - comme dans notre organisme - sur le fonctionnement des systèmes biologiques.
L'exposition volontaire d'êtres vivants à des pollutions nocives posant des questions éthiques évidentes, nous proposons plutôt de nous pencher sur les méthodes d'observation de la biodiversité présente sur les sites.
L'encyclopédie des plantes bio-indicatrices permet ainsi, en identifiant plantes présentes sur un site donné, d'identifier quelle est la qualité agronomique du sol et quels sont les polluants qui y sont présents.
Il semble possible de suivre un processus analogue en analysant la (micro-)faune du sol, et ceux se nourrissant de celle-ci.
Cette méthode retient notre intérêt de par son caractère éminemment "low-tech" : une simple identification de la biodiversité permet d'en savoir énormément sur la qualité du sol.
Elle ne s'applique toutefois que dans les zones dans lesquelles la biodiversité n'est pas déjà lourdement contrôlée par l'Homme. Il ne faut pas non plus oublier que de nombreux facteurs peuvent entrer en ligne de compte dans le développement ou non d'une espèce, et pas seulement la qualité du sol.